4 décrets par jour, performance établie par Deby en 2014

dadLorsque l’Assemblée Nationale et la Présidence de la République du Tchad ont contraint à la démission l’ancien premier Djimrangar Dadnadji pour motif d’instabilité gouvernementale, je me suis écrié que nos autorités ont enfin pris conscience du phénomène. Mais il s’est vite avéré que l’accusation n’était qu’un formalisme destiné à se débarrasser d’un fonctionnaire jugé « récalcitrant ». L’instabilité, la vraie, poursuit son chemin et, avec elle, des conséquences désastreuses pour l’administration et ses usagers.

Cinq remaniements ministériels en dix mois, c’est ce que les députés ont  qualifié d’incapacité à l’égard de cet homme perçu à sa nomination comme un cadre compètent. Trois mois après sa démission, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, son successeur, Pahimi Kalzeube Debe a dû retoucher son équipe à trois reprises, avant de rattraper Djimrangar au score décrié de cinq remaniements en dix mois.

Faut-il en conclure que les racines de l’instabilité vont au-delà de la primature ? Surtout pas à la Présidence de la République, puisque le locataire du palais présidentiel est en poste depuis 1990. Mais un coup d’œil à la liste des décrets présidentiels donne à constater que le mal vient de là.

En 2014, le Président Idris Deby Itno (IDI), a pris 1 479 décrets, le dernier, signé le 05 décembre de l’année. Calcul mental, cette année-là, Deby a gouverné le Tchad à coup de quatre décrets par jour.
Rien d’anormal dites-vous. Mais lorsqu’on compare cette frénésie ‘decréturale’ à celle réalisée dans la sous-région Cemac, notre Président est loin en tête.
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Paul Biya Président du Cameroun voisin, n’en a pris qu’1,6 par jour. Le Président guinéen Obiang NGuema Mbasogo se montre plutôt avare avec seulement, 174  décrets toute l’année, soit ce que IDI réalise en un petit mois.
Comparaison n’est pas raison. Mais lorsque 90% de ces actes sont des nominations, l’instabilité est bel et bien fille de la présidence.

Face à ces chiffres, je m’interroge : quelle est la durée moyenne de séjour d’un décrété à son poste ? Si les ministres ne restent en poste que trois mois, les directeurs ont une longévité plus réduite. Comment l’administration de la Présidence décrète-t-elle un honnête citoyen à un poste de responsabilité ? Etudie-t-elle sérieusement les dossiers des candidats pour déterminer la qualification ; fait-elle une enquête de moralité préalable ?

Difficile de l’affirmer, car cette instabilité à la tête des services publics ne peut s’expliquer que par des erreurs qu’une telle étude aurait évité. Sinon comment comprendre qu’un tel, à peine nommé directeur reçoit un autre décret le relevant de ce poste avant même sa prise de service; tel autre, relevé de ses fonctions il y a quelques jours, y est reconduit par un autre décret !

Je refuse néanmoins de croire la caricature qui présente l’administration publique-y compris celle de la Présidence-comme une foire où les citoyens les plus offrants et les plus mafieux achètent ou obtiennent les postes qu’ils désirent, ni celle selon laquelle les hauts fonctionnaires de l’Etat ont dans leur sacs un lot de curriculums vitae prêts à être introduis dans un projet de décret.

Les conséquences en termes de coût et de disfonctionnement, sont tout simplement énormes. Nous savons tous qu’un décrété relevé de ses fonctions emporte presque tous les biens matériels du service-jusque aux rideaux et moquettes des bureaux-avant de céder sa place. Son successeur renvoie au « garage* » ou au chômage presque tous les agents précédemment en service pour les remplacer par les siens en majorité des décisionnaires* qu’il recrute à tour de bras.

Au niveau des usagers, cela se traduit par de pertes de documents ou de retard dans les traitements des dossiers dû aux rejets liés au changement de signature.

La pratique est lourde de conséquences, mais nous semblons l’ignorer lorsque chaque soir nous sommes toutes à oreilles suivant la lecture fastidieuse des décrets.

Que l’année 2015 soit, à tous les niveaux de l’administration publique, une année de stabilité.

Antoine Adoum Goulgué
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*Garage: Un fonctionnaire sans poste, ne vivant que de son salaire
*Un décisionnaire: un travailleur temporaire n’ayant pas le statut de fonctionnaire

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