Des militaires au pouvoir

Au sortir d’un atelier sur le rôle des armées en Afrique, un ancien chef du département de droit de l’université de N’Djamena avertissait que l’armée ne se tiendrait à l’écart de la sphère politique que lorsque les conditions du service militaire seront améliorées et que chaque soldat sera rassuré de quoi sa retraite sera faite. Selon lui, la prise du pouvoir est la meilleure option pour les armées africaines d’être à l’abri des besoins.

Crédit photo : Salma Khalil

          Le cas tchadien est prégnant. Le salaire des sous-officiers n’est qu’à cinq chiffres. Les casernes n’existent presque pas ; celles qui existent sont sans équipements. La prime générale alimentaire (PGA) a disparu pendant des décennies. Lorsqu’elle est budgétisée, ne parvient pas aux intéressés.

           Un soldat qui boucle sa carrière militaire avec un salaire de XX 000 francs par mois a très peu de chance d’épargner. La situation n’est pas différente pour les officiers supérieurs. En définitive, la carrière militaire à l’écart du pouvoir est un sacerdoce. De l’avis de ce juriste, la tentation de prendre le pouvoir est grande, celle de s’y éterniser, encore plus. Tentation d’autant plus grande que les militaires détiennent la force. Les coups de force que notre pays a connus ont eu pour justifications : débarrasser le pays de régimes autocratiques , le protéger de l’impérialisme étranger, faire face à la menace terroriste. Mais la motivation réelle n’a été rien d’autre que prendre le pouvoir pour se servir.

           Un autre facteur qui pousse à la prise et à la confiscation du pouvoir est de régner sans avoir de comptes à rendre à personne, comme l’a signifié, à un reporter du journal Le Temps, un colonel de l’armée reversé au Ministère de l’environnement. Réagissant à un article critique à son égard, le colonel a exercé son droit de réponse en ces termes : « vous les civils, tranquillement assis à boire du soda, écrivez n’importe quoi ; j’irai à votre bureau pour vous prouver que le pouvoir c’est nous et non vous ».

           Les militaires sont des citoyens comme les autres, certes. Mais c’est un principe démocratique que le pouvoir soit exercé par des civils. Le Tchad déroge à cette règle. L’armée est partout présente, au gouvernement comme dans le commandement territorial. Ce sacro-saint principe démocratique est contourné ; le militaire redevient civil et s’improvise politicien. Ainsi, Idris Deby, ancien colonel de l’armée nationale tchadienne, redevenu civil en 1996, avait cependant continué de prendre de grades jusqu’à celui du Maréchal, d’aller au combat jusqu’à celui du 17 avril, le dernier de sa vie.

           À cause de ces avantages « auto accordés » et sans limite, convenons que l’idée de quitter le pouvoir, même si elle émerge du subconscient de nos hommes forts, elle est vite refoulée. Ils préfèrent jouir du pouvoir jusqu’au jour où un plus fort que soi les déboulonne. Sur la question de l’armée comme sur d’autres, le Tchad piétine. La place de l’armée a été débattue à la Conférence nationale souveraine (CNS). Elle l’a été de manière technique aux états généraux de l’armée. Tout a été dit et des recommandations faites pour doter le pays d’une armée moderne. Mais ces recommandations sont confinées dans des tiroirs. En conséquence, l’armée tchadienne compte plus d’officiers que nécessaire, la montée en grade se fait sans critères de mérite objectifs, une armée discriminatoire, une armée à refaire. Cette refonte de l’armée commence aujourd’hui lorsqu’un groupe de militaires décident pour 14 millions de Tchadiens. Leur seul mérite, comme ils s’en défendent, est d’avoir été témoins de l’expiration du dernier souffle du Maréchal Président, une justification pour garder le pouvoir.

Antoine Adoum GOULGUE

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