Toute liberté prend appui sur la liberté d’expression

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Ce vendredi 3 mai, date marquant la journée mondiale de la liberté de la presse, le Tchad fait grise mine. Qualifié de «pire cybercenseur » par Reporter sans frontière, il occupe une place peu reluisante au classement mondial de la presse, 122e sur 180. Le 25 avril, pour la nième fois, une marche pacifique dénonçant une inexplicable pénurie de gaz à N’Djamena a été interdite par le gouvernement suscitant les critiques d’Amnistie internationale qui rappelle la promesse d’abroger les dispositions de la loi interdisant les manifestations et regroupements sur la voie publique. Une dizaine de manifestants ayant tenté de braver la mesure d’interdiction ont été arrêtés d’après le site d’information en ligne Tchad info. Ce contexte justifie le choix de cet article qui veut mettre en lumière l’importance de la liberté d’expression comme promis dans le précèdent article.

Qu’entend-on par liberté d’expression ?

Denis Ramond répond à cette question dans le numéro 44 de Raisons politiques (novembre 2011). Pour lui « l’expression désigne à la fois l’action d’exprimer quelque chose par tous les moyens, et ce par quoi quelque chose se manifeste (…) ». L’expression, dit-il, offre un champ d’application plus étendu et englobe des notions plus anciennes, comme la liberté de la presse et la liberté d’opinion. En rappel, la « libre communication des pensées et des opinions » a été proclamée dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le premier Amendement de la Constitution américaine emboîte le pas en 1791 en interdisant au Congrès des Etats-Unis de prendre une loi « restreignant la liberté de parole ou de presse (…) ».
La liberté d’expression n’est proclamée que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en son article 19 : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Depuis cette date, elle est inscrite dans plusieurs textes nationaux et internationaux et bénéficie de la plus grande protection en tant que valeur fondamentale de la démocratie.
Selon le Centre pour les droits de l’homme (université de Pretoria), le droit à la liberté d’expression est un droit précieux car, entre autres, il « est le facilitateur des autres droits ». Pour ce centre, la liberté d’expression mérite cette attention parce qu’elle aide à l’épanouissement individuel, contribue à la découverte de la vérité et encourage à la participation politique et sociale, renforce la capacité à participer à la prise de décision.

…aide à l’épanouissement individuel. Est épanoui celui qui a exercé ses potentialités. Le contraire fait de lui une personne frustrée. C’est pour cette raison que les parents et les éducateurs développent chez les jeunes l’expression par les jeux, le bricolage, la danse, le dessin. Appliqué aux domaines politique et social, favoriser l’expression c’est aider à l’éclosion de compétences transversales bénéfiques pour l’individu et la société. Les psychologues ont prouvé que l’exercice harmonieux d’une fonction mentale favorise le développement d’autres fonctions latentes. Ce qui suppose que la restriction d’une fonction retarde ou bloque le développement d’autres et compromet la croissance. Un peuple qui jouit pleinement de la libre expression est épanoui, non ?

…contribue à la découverte de la vérité et à la promotion de la participation politique et sociale. L’idéal recherché par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est de permettre à tout peuple de disposer de lui-même, choisir ses dirigeants et à ses membres de participer à la vie de la communauté. Ces rôles ne peuvent être joués s’il n’y a pas de vérité. En effet, le milieu politique est connu pour être le terrain de la démagogie, de la manipulation et de la fraude. Ahmadou Kourouma écrivait qu’en « (…) politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix ». Beaucoup s’interdisent tout rapport au politique par peur de compromission. Certains refusent d’exercer le droit de vote pour lequel des peuples se sont battus. La liberté d’expression, à travers la presse et la diversité d’opinions, l’art et les manifestations publiques, permet aux citoyens de mieux connaître les acteurs publics et politiques et leur discours. De cette connaissance jaillit la vérité qui éclaire et nourrit la participation citoyenne, notamment lors des scrutins.

…renforce la capacité à participer à la prise de décision. Individuellement ou organisés en association, ceux qui participent à la vie de leur communauté sont portés à s’engager pour la défense des intérêts collectifs. Ces citoyens engagés s’informent, se cultivent et se forment. Ainsi ils ne se contentent pas d’élire des dirigeants mais exigent qu’il leur soit permis d’avoir voix au chapitre lors des prises de décisions pouvant modifier leur vie. A ces dirigeants qu’ils ont choisis, ils ont le droit d’exiger de comptes. Au moyen du contrôle citoyen, ils veillent à ce que les affaires publiques soient bien gérées – par exemple s’assurer que le dispensaire du village a été construit dans la norme budgétaire et le délais prévus ; les groupements de la région ont effectivement reçu les fonds prévus dans le cadre du programme ODD. La liberté d’expression, de par le libre accès aux sources de connaissance et d’information, notamment l’Internet, est une pièce charnière en matière de renforcement de capacité citoyenne.

« Ne laisser aucune expression se perdre »

 » Ne laisser personne de côté  » est le mot d’ordre que les décideurs du monde se sont donné et que l’on lit dans tous les narratifs de programmes de développement durable. Ils appellent à un développement inclusif qui tienne compte des besoins spécifiques des groupes finement segmentés. La participation active de tous et de toutes est sollicitée : femmes et hommes, adultes et jeunes, urbains et ruraux, riches et pauvres, colons et colonisés, libres et esclaves, personnes vivant avec ou sans handicap. Une personne écartée des affaires du monde est un manque à gagner pour l’humanité, justifie-t-on. Néanmoins, il est une évidence que « ne laisser personne de côté » rime avec « ne laisser aucune expression se perdre ». Car rien ne vaut l’expression de ce dont on a besoin et comment on le veut.

« L’expression au cœur de l’économie fondée sur la connaissance »

L’économie fondée sur la production a montré ses limites : La disparition des peuples entiers, le tarissement des ressources naturelles, et la modification du climat. C’est pour cela que le monde a tourné le dos à cette économie pour épouser l’économie fondée sur la connaissance », celle du 21e siècle. Paul A. David, spécialiste du sujet la décrit en ces termes : « L’aspect essentiel consiste dans une accélération sans précèdent du rythme de création, d’accumulation et sans doute aussi de dépréciation de la connaissance ». Une création et une accumulation de connaissance à ce rythme suppose que les citoyens de notre époque, celle des « communautés de connaissance » (ibid.) doivent démontrer une grande capacité d’expression (pluricanale), y compris au moyen des technologies pour accéder à toutes les sources de savoirs qu’il faut transformer en connaissance. Aucun doute que le droit à la liberté d’expression est un élément fondamental des sociétés d’aujourd’hui et de demains. Car, écrit Ramond, « L’expression désigne alors toute manifestation extérieure d’un état, d’une pensée, d’une opinion, d’un désir, quel que soit le médium utilisé : dès lors, la ‘liberté d’expression’ pourrait être considérée comme une manière redondante de désigner la liberté tout courte ; ou du moins, pourrait recouvrir, désigner toutes les autres libertés ».
Antoine Adoum Goulgué, à mon avis.

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